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Il pense CHIEN alors que nous pensons HUMAIN

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souris65
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Il pense CHIEN alors que nous pensons HUMAIN

Message par souris65 »

Texte publié dans le magazine "Molosses News" n°35 de Janvier/février 2005.
"Il pense "chien" alors que nous pensons "humain"... ou les ratées de la communication entre le molosse et nous

Le chien est un être social, et pour lui comme pour nous, tout comportement en situation d’interaction a valeur de message à l’autre.
Il n’est pas simple ni pour nous ni pour lui, de bien décoder les comportements de « cet autre » qui n’est pas de la même espèce.
Nos morphologies et équipements sensoriels si différents, ne nous font pas vivre exactement les mêmes choses au cours d’une même promenade en forêt par exemple.
Nous marchons côte à côte, mais le chien repère olfactivement et auditivement ce que nous ne percevons qu’à peine, voire pas du tout : l’odeur d’un gibier passé par là il y a peu, les bruits du déplacement furtif d’un rongeur dans les fourrés, ou bien le fait que nous sommes déjà passés sur ce chemin (ce qui a pu complètement nous échapper !)
De son côté, notre compagnon n’a pas accès à ces moyens que les êtres humains ont pu mettre en place pour s’orienter et se diriger, comme communiquer entre eux par le langage verbal et l’écriture (ce qui est bien utile pour demander une direction à d’autres personnes ou lire les panneaux et plans de situation de la forêt par exemple)
D’autre part, les codes sociaux qui régissent les rapports entre canidés ne sont pas ceux que les êtres humains ont mis en place pour organiser leurs propres relations.
Bref, entre êtres humains et chiens, il n’est pas bien facile de « se lire » l’un l’autre et c’est dans le piège de l’anthropomorphisme que nous tombons quand nous peinons à comprendre notre molosse.

L'incompréhension entraîne des réponses inappropriées
Anthropomorphisme* est un mot encore mal connu pour qualifier ce que nous faisons pourtant tout naturellement vis-à-vis de nos animaux, un peu comme Mr Jourdain « qui faisait de la prose sans le savoir » !
Du grec anthropos : homme, et morphê : forme : le dictionnaire dit qu’anthropomorphisme est la tendance à attribuer aux animaux des caractéristiques propres à l’homme. C’est pour l’être humain, tout ramener à lui-même, s’expliquer l’autre en fonction de soi, pour tenter de donner sens à ce qu’il est difficile de comprendre et contrôler.
Toutes les croyances et idées fausses sur le chien sont dictées par ce mouvement naturel de l’humain. Ensuite, barrant le chemin de la compréhension de l’animal et lui portant préjudice, ces croyances sont transmises et assénées, sans plus de possibilité d’envisager d’autre « vérité »
Est-il possible de vivre harmonieusement avec un être vivant auquel on prête des émotions, des ressentis, des sentiments, des intentions qu’il n’a peut-être pas ? Peut-on vivre harmonieusement avec lui, alors que l’on ne le comprend pas ?

Comment cela pourrait-il ne pas retentir sur son bon équilibre psychique, comportemental et même physiologique ?
Si faire une mauvaise lecture du comportement d’un chien (c’est-à-dire l’interpréter de manière erronée) pouvait ne pas avoir d’incidence fâcheuse, il n’y aurait pas lieu de se plaindre de l’anthropomorphisme.
Mais mal interpréter les conduites de son animal, entraîne forcément des réponses inappropriées des maîtres.
Penser par exemple que son molosse destructeur est retors et vengeur, conduit rapidement à vouloir le sanctionner, alors que ce dont il aurait besoin, serait d’être compris dans ses motifs de s’attaquer ainsi à son environnement.
Attention donc à ne pas tellement humaniser cet animal (si doué il est vrai !) au point de « le prendre » pour un être humain.
De son côté, que le chien nous « prenne » pour un de ses congénères semble bien improbable ! Il fait parfaitement la différence entre nous et l’un des siens ! Mais qu’il fasse comme nous et nous « canimorphise** » en quelque sorte, c'est-à-dire fasse une lecture de nos comportements à l’aune de ses propres codes sociaux canins, est bien naturel.
Au quotidien des interactions avec nous, quand par exemple nous laissons libre choix au molosse d’occuper à la maison les places qu’il désire, il fait une lecture de ce qui lui est proposé, selon les codes qui régissent les relations entre canidés.
Sachant que pour lui, entre bien d’autres choses, la libre occupation de places de repos sur l’espace de vie est privilège de la dominance, il va réagir face à cela en puisant dans le catalogue des comportements propres à son espèce et c’est bien naturel !! Puisque nous faisons exactement de même ! En nous attendant à ce que, lui, réagisse comme le ferait un être humain à sa place !

Rompre cette chaîne des mutuelles méprises auxquelles mènent immanquablement anthropomorphisme et « canimorphisme* » croisés, est possible à notre espèce mais pas à l’espèce canine.

L’éthologie, cette science qui étudie le comportement des êtres vivant, humains ou animaux, et s’intéresse aux motifs qu’un individu a d’exprimer tel ou tel comportement, nous permet de mieux percevoir une réalité animale jusqu’ici ignorée.
La compréhension d’un (ou plusieurs) comportement(s) gênant(s) de l’animal, commande de ne pas rester focalisés sur celui (ou ceux-ci) mais de se concentrer sur les interactions -maître et chien- qui les génèrent et les entretiennent.
Contextes familiaux, éléments déclencheurs, manifestations de comportements associés, sont donc autant de mesures à prendre pour s’expliquer l’une ou l’autre conduite indésirable de nos compagnons à 4 pattes.


L’histoire de Xavier, Céline et Saxo leur Am’Staff.
Cette histoire reprend l’exemple évoqué plus haut de la libre occupation de l’espace = privilège de la dominance (chez les canidés). Comment, d’interprétations erronées en réponses inappropriées, Xavier et Céline en étaient arrivés à ne pas comprendre que Saxo leur jeune Am’Staff de 15 mois menace, morde et les lèche à la fois.
Saxo vient de mordre Xavier, heureusement sans vraiment de gravité. Le jeune couple est cependant choqué et perplexe, n’ayant pas imaginé en arriver là avec son gentil molosse.
«Nous n’avons rien compris, m’explique Céline : tout s’est passé très vite…D’un coup, Saxo a attrapé Xavier au bras et sitôt après, il s’est mis à lui faire des léchouilles -comme pour s’excuser-. D’abord en colère d’avoir été mordu, Xavier s’est un peu radouci quand Saxo s’est mis à le lécher. Spontanément il a alors voulu caresser son chien et c’est là que Saxo (un comble !!) l’a remordu une 2è fois ! »
Xavier a fait fausse route en interprétant les léchouilles de Saxo comme une repentance juste après sa morsure.
Quand il veut y répondre par une caresse (tendant la main vers la tête de son chien) c’est au tour de celui-ci d’être surpris, de ne pas comprendre un tel comportement et du coup, de réitérer sa morsure.
La méconnaissance des codes sociaux canins et l’anthropomorphisme vont induire cette escalade interactionnelle malheureuse.
Après étude des circonstances de l’incident et examen du type de relation qu’ils entretiennent avec Saxo, Céline et Xavier voient poindre une réalité canine qui leur fait mieux comprendre leur compagnon.
Plutôt permissifs au quotidien avec Saxo, le jeune couple n’avait jusqu’ici jamais jugé bon de lui assigner une place précise, le laissant se reposer à son goût sur le canapé et les fauteuils, trop contents de profiter de sa chaude présence.
Ce fameux soir, quand Xavier a voulu rejoindre Céline sur le canapé, s’allonger et repousser son chien vautré de tout son long, Saxo dérangé, s’en est indigné et s’est mis à gronder (comme parfois paraît-il !)
Indigné à son tour, Xavier insiste et c’est là que Saxo pas décidé à céder la place qu’il occupe, lance un rappel à l’ordre (celui des codes sociaux canins !) avec une morsure brève autant qu’inattendue, qui fait reculer son maître.
Suite au retrait ébahi de Xavier, Saxo s’est alors mis à lui lécher le bras qu’il venait de mordre, pour l’apaiser comme il l’aurait fait sur un congénère qui se serait soumis devant sa démonstration d’autorité physique.
Si Xavier n’avait pas interprété les léchouilles de son molosse comme une -demande de pardon-, mais bien au contraire comme le message d’apaisement d’un canidé dominant à son dominé qui se soumet, il ne se serait pas permis d’insister davantage, avec une caresse sur la tête de surcroît.
Saxo a vécu cette flatterie comme une insistance de son maître ; message contradictoire pour lui et donc suspect, auquel il réagit ipso facto par un 2è rappel à l’ordre (une morsure de plus !)
Selon les codes régissant les conduites entre canidés, pour Saxo à qui il était offert d’occuper librement cet espace (cela signifiant donc privilège de la dominance canine) il n’était pas acceptable de se faire déplacer par Xavier. Menacer pour l’en empêcher, et mordre son maître parce que celui-ci insiste au lieu de céder devant les menaces, s’explique donc légitimement. Ensuite, derrière ses léchouilles, et toujours selon les codes sociaux canins, si Saxo avait reçu l’attitude basse et soumise de Xavier, il n’aurait pas « dû » le rappeler à l’ordre une 2è fois en le remordant.
Bien sûr ces conduites agressives de Saxo sont inacceptables, mais la responsabilité du jeune couple est grande en ces circonstances. Car avec un molosse, méconnaître d’une part les conduites sociales canines et ensuite se fier aux idées reçues sur un comportement quel qu’il soit (qui ne peut jamais être isolé de son contexte si l’on veut s’expliquer ce qu’il peut caninement « vouloir dire » ) expose un jour à ce type de fâcheuse surprise.
En l’occurrence, il n’était pas tant question que Saxo n’occupe pas le canapé et les fauteuils, mais qu’il intègre qu’il n’est pas de son droit d’en disposer librement (ce qui fait toute la différence du point de vue relationnel).
Céline et Xavier ont donc convenu qu’ils devaient réorganiser leur relation avec Saxo sur de nouvelles bases de connaissances, et c’est là que l’aide du comportementaliste s’imposait.

L’histoire de J. Louis et son Rott Ulk
« Obsédés de la chose », « homosexuels » sont les qualificatifs courants dont sont affublés les chiens mâles ou femelles qui se distinguent en chevauchant (sans retenue !) leurs congénères de même sexe ou opposé, le chat de la famille ou même les humains petits ou grands.
Pour Jean Louis (et son entourage qui en riait beaucoup) son Rott Ulk était cet « obsédé » qui « voulait culbuter » les visiteuses gênées autant qu’effrayées arrivant chez lui (certains visiteurs pouvant d’ailleurs, avoir droit aussi aux mêmes assauts !)
Pour Ulk, l’enjeu de ce comportement n’était pourtant pas la sexualité comme tout le monde le croyait.
Les canidés sont actifs sexuellement quand ils sont motivés par l’instinct de reproduction et seulement aux 2 périodes annuelles de chaleurs des femelles. Les mâles, disponibles toute l’année, sont alors fortement stimulés (jusqu’à se mettre en danger) par les odeurs particulières qu’elles dégagent. La recherche mutuelle d’accouplement est alors légitime et commandée pour la survie d’une espèce.
L’être humain, lui, est sexuellement actif tout au long de l’année et n’est pas pour cela uniquement motivé par le besoin de reproduction ! bien loin de là !!
Voir le chien de la famille si souvent animé du désir de chevaucher ses congénères, le chat ou les humains, et comme pour Ulk en déduire que lui aussi est motivé par une recherche de plaisir, ne serait donc qu’anthropomorphisme.
En dehors des périodes d’œstrus des femelles, il est courant chez les canidés d’observer ces chevauchements qui ont alors une valeur sociale. Les chiots les plus déterminés d’une portée, très tôt et bien avant leur puberté, expriment déjà de cette manière, leur volonté d’avoir l’ascendant sur les autres.
Mimant l’accouplement, nullement « obsédés par la chose » ! ni « homosexuels » ! ces chiens mâles ou femelles qui se chevauchent expriment donc leur volonté d’asseoir leur autorité sur l’autre.
Tout congénère qui ne sera pas d’accord saura le faire savoir à l’effronté, mais s’il ou elle laisse faire, c’est qu’alors il ou elle accepte ce pouvoir de l’autre. A noter que le fait de mettre sa patte ou sa tête sur l’autre est déjà, pour un chien, une expression seulement un peu plus modérée de la même volonté de lui imposer sa dominance.
Ulk le Rott, veut donc soumettre toutes les petites amies de J.Louis, non pas parce qu’il est sensible à leur charme ! mais parce qu’il entend exercer son contrôle sur l’espace où il vit, y compris sur les êtres qui le peuplent ou le traversent.
Et c’est là qu’il y a problème ! Outre que ces comportements sont inacceptables et très gênants pour le maître et surtout pour les visiteuses ! ils peuvent devenir dangereux au niveau de la prise de pouvoir que l’animal veut exercer sur tout so monde.
Gare à celui ou celle qui voudra un jour simplement s’opposer à Ulk qui pourrait ne pas le supporter et devoir rappeler à l’ordre en menaçant et pourquoi pas en mordant, celui qui oserait… !
Ulk, bien sûr, a déjà des conduites agressives vis-à-vis de ses congénères croisés en promenade, qu’il menace ou/et agresse copieusement pour les mêmes raisons.
Les maîtres de ces chiens sont souvent amenés à envisager la castration qui leur est proposée, pour tenter de réduire ces comportements indésirables de l’animal.
Certes le molosse sera alors bien moins sensible aux odeurs des femelles en chaleur, et (un peu) moins en compétition avec les congénères mâles en balade.
Mais cela ne réglera rien du problème de fond qui n’a rien à voir avec la sexualité, mais avec le pouvoir.
Chevauchements (et conduites agressives possibles chez les plus déterminés si l’on s’y oppose) seront toujours les seuls messages canins de Ulk, et de bien d’autres de ses congénères pour affirmer leur supériorité.
On comprend que toutes ces conduites sont éléments de communication et si l’on veut les voir s’atténuer et disparaître, il y aura lieu de réorganiser la relation avec le molosse, au sein du groupe familial.
Il ne s’agira pas tant d’utiliser les méthodes du conditionnement en contraignant l’animal avec un dressage, mais bien plutôt de proposer une meilleure gestion de l’espace, des échanges sociaux et de distribution de la nourriture, règles de vie qui sont réductrices d’ambiguïté.
Le chien retrouvera non seulement des comportements plus acceptables socialement, mais aussi une tranquillité émotionnelle bien plus propice à son bon équilibre et sa bonne santé générale.

* Remarques de Boris Cyrulnik sur "l'anthropomorphisme": ..."Consiste à attribuer aux animaux ou aux dieux des phénomènes spécifiques à l'univers physique et mental de celui qui parle" "...Relève notre grande difficulté à nous décentrer pour concevoir que d'autres univers que le nôtre existent" "...Très amusant piège de la pensée, rendu inévitable par la parole qui, conçue pour un univers d'hommes, tente de s'appliquer à des univers d'animaux"...
Le terme "univers étant entendu comme "l'umwelt" ou "univers sensible" de chaque être vivant, qui vit dans le monde qu'il perçoit et qui lui est particulier. Ce monde perçu est un monde filtré par l'anatomie et le fonctionnement de ses organes sensoriels et de son cerveau, déterminés génétiquement. Ajouté à cela que le milieu dans lequel se développe un organisme, façonne son appareil à percevoir le monde, qui désormais acquiert une aptitude à percevoir ce à quoi il est devenu sensible"...

** mot inventé ironiquement par l’auteur

Danièle Mirat
Nier la souffrance de l'animal entraine vite à devenir indifférent
à celle de l'humain.


Pour protéger, il faut aimer. Pour aimer, il faut connaître.
"Sans les animaux le monde ne serait pas humain" Kl. Matignon


Calins à vos dalmatoutous de Sabine
et léchouilles des taches du terrier : Jaïa et Lakshmi
Verrouillé

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